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Posted by finkployd in
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Wednesday, March 2. 2005
L'Orient - 01.03.2005
L'arm�e fraternise avec les manifestants, leur c�dant le passage jusqu'au
centre-ville
Place des Martyrs hier, un nouveau soleil s'est lev� sur le Liban
Hier, � 06h05, un nouveau soleil s'est lev� sur le Liban. Un nouveau
matin porteur de toutes les promesses du bonheur. Ces tr�s rares promesses
qui peuvent parfois se r�aliser. Et la promesse d'une nouvelle ind�pendance
se r�alisera. Indubitablement. Au centre-ville hier, toutes les barricades
sont tomb�es. Des dizaines de milliers de personnes ont brav� les interdits.
Leur courage, leur volont�, leur soif de souverainet�, leur d�termination
surtout a d�sarm� les forces d'�lite quadrillant le secteur. L'arm�e
libanaise, dont on craignait la r�pression, a fraternis� avec les
manifestants, finissant par leur c�der le passage par intermittence et avec
le sourire.
Tout a commenc� dimanche soir vers 19h, quand le minist�re de l'Int�rieur
a pris la d�cision d'interdire les manifestations, laissant � l'arm�e la
t�che de maintenir l'ordre dans le centre-ville, bouclant le secteur �
partir de 22h. Et ce n'est pas une quelconque brigade de l'arm�e qui a
quadrill� toute la zone mais bel et bien les commandos, les forces d'�lite,
au b�ret rouge.
Prise probablement pour d�courager les Libanais qui �taient r�solus comme
la semaine derni�re � descendre co�te que co�te dans la rue, cette d�cision
a eu l'effet contraire, confirmant � ceux qui voulaient l'ignorer encore que
la situation a atteint le point de non-retour.
Il a suffi donc d'un communiqu� de quelques lignes et d'une rumeur
affirmant que l'arm�e expulsera les contestataires � 5h pour que les
manifestants pr�sents au centre-ville restent sur place et pour qu'ils
soient rejoints par des Libanais de tous bords et de toutes cat�gories
sociales. Dans la nuit de dimanche � lundi, peu apr�s minuit, environ 5 000
personnes �taient pr�sentes au centre-ville. Il y avait certes de jeunes
partisans et des �tudiants, habitant notamment Beyrouth et le Mont-Liban,
mais aussi des manifestants n'appartenant � aucun courant politique, venus
en famille ou par groupes d'amis, pour � relever le d�fi � ou pour �
participer � une nouvelle ind�pendance �.
M�me si la plupart d'entre eux �taient mal �quip�s pour supporter le
froid de Beyrouth la nuit, ils ont tenu � rester sur place. Certains ont
r�ussi � dormir. Il y a les pr�venants qui sont sortis de chez eux en
emportant leurs couettes ou leurs sacs de couchage. D'autres se sont
d�brouill�s avec les moyens de bord en s'enveloppant dans des couvertures
distribu�es par � un bienfaiteur � non loin de la tombe de Rafic Hariri, ou
encore en se couvrant du drapeau libanais qu'ils brandissaient. Tout �tait
bon pour improviser un coussin : un sac � main, une bouteille en plastique
vide, ou le corps d'un ami. Certains se sont allong�s � m�me le macadam.
D'autres ont eu plus de chance : ils ont trouv� de la place pour s'�tendre
sous la tente et sur la moquette bleue install�es lors de l'organisation des
fun�railles de l'ancien Premier ministre.
Il y a aussi ceux qui ont pass� la nuit � circuler d'un endroit �
l'autre, et ils �taient tr�s nombreux. Il faut compter �galement les
militants qui se sont regroup�s sous leurs tentes dress�es depuis une
dizaine de jours sur la place des Martyrs. Il y a aussi ceux qui n'ont pas
boug�, qui sont rest�s assis tout au long de la nuit en plein air et au m�me
endroit.
Commentant le mouvement des jeunes et des �tudiants, l'un des
organisateurs de la manifestation de lundi dernier et de la cha�ne humaine
samedi, Edgar Barakat (base Kata�b), la soixantaine, souligne qu'il a senti
le besoin que les jeunes profitent de son exp�rience dans l'organisation de
ce genre d'�v�nements. � Nous travaillons sous pression et dans l'urgence.
Tout le monde est mobilis�. Nous sommes en train de r�ussir. De ma vie, je
n'ai jamais rien vu de pareil �, a-t-il indiqu�.
En fait, dimanche en fin d'apr�s-midi, personne n'avait pr�vu de
mobiliser les manifestants � la place des Martyrs d�s 22h. Pourtant
l'opposition plurielle a relev� le d�fi. Jusqu'� 2h, les d�put�s et les
responsables se sont relay�s � la tribune. Les discours �taient ponctu�s de
chansons patriotiques. Ici et l� on allumait des feux de camp.
A 5h, les responsables de l'opposition sont � la tribune, la foule qui
s'�tait un peu assoupie se l�ve, se rassemble pour r�p�ter ce qu'elle a d�j�
fait tout le long de la nuit : agiter les immenses drapeaux libanais,
entonner l'hymne national et scander ses slogans : � Libert�, souverainet�,
ind�pendance �, � La Syrie dehors �, � Nous voulons dire la v�rit� : nous ne
voulons plus de la Syrie �, � Un lion au Liban, un lapin au Golan �, �
Musulmans et chr�tiens, nous ne voulons plus des Syriens � et beaucoup
d'autres slogans.
Les responsables prennent la parole � tour de r�le. Wa�l Bou Faour livre
le message de Walid Joumblatt : � En 1943, il se sont endormis et se sont
retrouv�s ind�pendants. Aujourd'hui, vous �tes des r�sistants et vous avez
veill� pour voir l'ind�pendance. � Pierre Gemayel affirme : � Si nous �tions
n�s, il y a soixante ans, nous aurions �t� des h�ros. � Elias Atallah
souligne que les manifestations se poursuivront jusqu'� ce que le Liban
recouvre son ind�pendance. Nader Na�b raconte une histoire pass�e durant la
nuit : � Un manifestant s'est approch� d'un soldat, ses amis lui ont demand�
: "pourquoi tu lui parles", il a r�pondu : "c'est mon p�re". �
Akram Ch�hayeb souligne : � Nous attendons que l'arm�e se joigne � nous.
Elle ne sera pas divis�e comme le pr�tendent certains. Et n'oubliez surtout
pas que les soldats sont vos fr�res. �
La foule applaudit, chante l'hymne national et scande : � Nous ne voulons
qu'une seule arm�e au Liban, l'arm�e libanaise. �
Au niveau de Sa�fi, une autre histoire
Tout au long de la nuit, les commandos de l'arm�e ont facilit� la t�che
aux manifestants qui arrivaient place des Martyrs, leur permettant d'entrer
par vingtaines dans le p�rim�tre quadrill�. En pleine nuit, certains
manifestants parlant entre eux de la faim qui les rongeait (malgr� les
milliers de sandwiches distribu�s par les organisateurs dans une tente
situ�e non loin de la tombe de Rafic Hariri) sont entendus par hasard par
des soldats. Ces derniers leur offrent leur propre ravitaillement.
Il est presque 6h. Un nouveau jour, plein de promesses, se l�ve sur
Beyrouth. Alors que quelques milliers de contestataires se trouvent place
des Martyrs, des centaines d'autres se dirigent vers Sa�fi, o� des dizaines
de protestataires, venus de tous bords et arm�s uniquement de leurs drapeaux
libanais, veulent percer le cordon de s�curit� form� par l'arm�e.
Les manifestants de la place des Martyrs courent amener leurs amis. Les
barricades humaines form�es par les soldats c�dent un peu trop facilement.
Dix minutes plus tard, c'est le m�me spectacle qui se r�p�te. Dans ce
secteur du centre-ville, les manifestants ont entonn� surtout des chants
rendant hommage � l'arm�e et ont scand� : � Nous ne voulons qu'une seule
arm�e au Liban, l'arm�e libanaise �, � On veut que nos commandos expulsent
les Syriens �.
Puis ce sont les FSI et leurs brigades anti�meutes qui prennent position
avec leurs impressionnants �quipements. Ils sont venus de Beyrouth et de
Zahl�. Les commandos de l'arm�e intensifient alors leur pr�sence autour des
jeunes comme s'ils voulaient �viter certains d�bordements dont ils ne
veulent pas �tre tenus pour responsables.
La tension monte. Les jeunes des deux c�t�s attendent. Et il semble qu'un
accord a �t� pass�, sur le terrain, entre les responsables des courants de
l'opposition et les commandos : tous ceux qui viendront au centre-ville
pourront entrer, l'arm�e c�dera le passage. On n'avait pas vu depuis
longtemps ce genre de sc�ne de fraternisation entre les civils et les hommes
en uniforme vert. Un manifestant tombe, se blesse � la figure, et c'est un
soldat qui lui tamponne le front avec de l'eau. Une jeune manifestante,
courant pour rejoindre ses amis, tr�buche, des soldats l'aident � se lever
afin qu'elle ne soit pas pi�tin�e par la foule.
Et puis, une voiture de pompiers arrive. La sc�ne rappelle aux
contestataires des images pass�es... Ils s'agitent, grimpent sur le
v�hicule, s'en prennent � quelques soldats qui ne ripostent pas. Une dizaine
de minutes plus tard, un officier effectue un coup de fil, donne des ordres
: � N'envoyez plus de grands v�hicules de ce c�t�. Je ne veux en aucun cas
avoir des accrochages avec les manifestants �, dit-il.
Des dizaines et des dizaines de fois, les contestataires iront chercher
leurs amis. N'ayant plus peur de l'arm�e, les manifestants ne courent m�me
plus, marchent tranquillement sous le regard bienveillant des soldats, leur
offrant m�me des fleurs.
Raymond Soueidane, ancien d�tenu dans les ge�les syriennes, assiste fier
� la sc�ne. Lib�r� en 1998 apr�s avoir �t� enlev� en 1993, � Beyrouth, alors
qu'il �tait �l�ve officier au sein de l'arm�e libanaise, il indique : �
Depuis ma lib�ration, j'ai v�cu pour voir ce jour arriver. �
Venant � pied du secteur SNA et de toutes les petites ruelles de
Gemmayz�, les manifestants, avec leurs immenses drapeaux libanais, d�ferlent
sur le centre-ville. Malgr� les fils barbel�s qu'elle a install�s, l'arm�e,
ovationn�e, leur ouvre l'acc�s � la place des Martyrs.
Comme toutes les ruelles de Gemmayz�, la place des Canons est noy�e sous
les drapeaux. De toutes parts on n'entend plus que l'hymne national. Il est
un peu plus de 10h. La s�ance parlementaire a commenc�. Les Libanais, tous
les Libanais, ont gagn� la bataille. - L'Orient
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